Club Med

D'un geste de la main, le jeune homme dégagea une mèche de cheveux trempée qui lui barrait le visage et le gênait pour avancer. Il leva les yeux vers le ciel, d'un gris plombé, presque noir, qui déversait sur eux depuis des jours de l'eau, sans discontinuer. Ses espoirs de voir une journée de soleil qui les aiderait dans leurs efforts s’évanouirent aussi vite qu'ils étaient venus. Après une énième injure contre le climat, il reparti en trottinant vers la rivière.

Cette dernière, si elle avait un jour été paisible et calme, était depuis des semaines un torrent furieux, grondant, qui charriait dans son sillage enflé des troncs d'arbres déracinés et des rochers que le courant déplaçait. Parfois, scène plus macabre, quelques corps passaient à la surface de l'eau, ou du moins ce qu'il restait d'eux. Des carcasses livides, détrempées, se laissant aller au gré du courant. Si Thelos et les soldaient avaient les tripes assez endurcies pour se contenter d'un masque neutre, les quelques ingénieurs et les ouvriers qu'ils supervisaient et à qui il prêtait main-forte, eux, vivaient beaucoup moins bien le passage d'un humain mort noyé. Néanmoins, leur petite troupe continuait de travailler bravement. D'autres comme eux avaient une tache identique à la leur, à savoir construire des digues qui devaient consolider l'ensemble du parcours de la rivière de Sigma, mais ils étaient le maillon le plus important de la chaine : le tout premier. C'était eux qui étaient présentement au pied de la montagne depuis laquelle la rivière qui prenait sa source en Zeta, et qui devait endiguer les flots les plus furieux du territoire de Sigma.

Pourquoi lui, précisément, se salissait les bottes au même endroit que tous ces gens était encore une question qu'il se reposait. Quand la Grand Argentière lui avait proposé ce job en échange du paiement des frais de surveillance supplémentaire que demandait Orion, il avait naturellement dit oui. Le poste d'ouvrier sur le terrain lui semblait pas si dégueulasse. Salissant, certes, et plus d'une fois Pureté avait râlé de trouver de la boue dans sa chambre. Ca valait malgré tout le coup car il manquait encore cruellement de notoriété à Sigma auprès des officiels, et ne se leurrait pas vraiment quant à l'avenir de son boulot en tant que mercenaire. Ca allait forcément amener des tensions avec les forces de Sigma, des suspicions au moins. Et le meilleur moyen de leur couper l'herbe sous le pied restait de bosser pour eux avant tout.

Rapidement, toutefois, Thelos avait pris la tête de leur troupe afin d'apporter une bien meilleure coordination, ainsi qu'une meilleure exploitation des capacités des Pokemon que Sigma leur avait confiés, en plus des siens bien entendu. Le grade officiel qui allait avec avait suivi, et si la première semaine le Stratège avait été simple ouvrier trimant comme les autres, maintenant, au moins, il disposait d'un bien meilleur poste, et de ce qui allait avec. Cela faisait une autre semaine qu'il dirigeait, donc, et jusqu'ici, tout se passait bien. Il n'y avait pas de raisons que ça change, pas vrai ?

- C'est bon, capitaine, tout est en place et tout le monde est prêt à commencer!

Thelos fit un petit sourire au soldat qui venait de lui rapporter la nouvelle et quitta leur petit campement de fortune, où il réfléchissait au meilleur moyen d'utiliser les Pokemon pour les plans qu'avaient prévus les deux ingénieurs avec eux. En compagnie de six soldats, d'une dizaine d'ouvriers et de deux chariots d'énormes pieux en bois, ils constituaient la petite troupe avec laquelle il travaillait depuis maintenant deux semaines à des petits ouvrages. Mais aujourd'hui, la grosse œuvre allait pouvoir commencer.

- J'y vais. Positionnez vous chacun sur une berge pour rejoindre vos différentes équipes, faites moi signe quand tout est ok pour vous et on se lance.

Sans discuter ses ordres ni vraiment montrer de respect particulier pour un militaire, étranger de surcroit, les deux ingénieurs rejoignirent leur poste. Thelos les suivit, se posant en haut d'une colline pour englober tout la scène du regard. Les humains et les pieux étaient équitablement répartis sur chaque rive, mais de son côté, il y avait Nyx et Zeus tandis qu'en face, il avait Talos et Oceanos. Qui plus est, sous le commandement des soldats, de chaque côté deux Castorno se tenaient prêts à suivre le plan, relativement simple d'ailleurs. Nyx et Talos transportaient les pieux grâce à leurs pouvoirs psychiques, tandis qu'Oceanos et Zeus les enfonçaient dans le sol grâce à leur force colossale. Chaque pieu avait auparavant été creusé de deux trous, dans lesquels les ouvriers avaient pour tache de faire passer de très longues planches, courtes mais épaisses, qui serviraient elles aussi de renfort à la terre et la boue que les Castorno avaient pour mission d'apporter sur l'ensemble. Ce n'était clairement pas les digues les plus solides qui soient, mais la Cité devaient pallier très vite au problème et n'avait pas vraiment le temps ni les fonds de commander des pierres taillées pour toutes ses rivières. Ca allait devoir marcher, coute que coute.

Quand chacun des ingénieur lui fit un petit signe, le mercenaire maintenant au service de l'armée Sigmienne mit ses mains en porte voix afin de couvrir le bruit assourdissant de l'eau torrentielle et cria l'ordre du départ. Tout ce petit monde se mit en branle, sans hésiter, dans le calme et l'efficacité. Ses Pokemon entamaient la danse, conscients qu'ils allaient devoir faire face à une rude journée, mais chacun ici savait que de toutes façons, on en reviendrait épuisés et sales. Personne ne se ménageait, donc, et comme les soldats qui donnaient eux aussi un coup de main aux ouvriers, le Stratège se préparait à faire de même...avant que tout ses sens de guerrier le mettent en alarme, une seconde trop tard. A cause de la pluie, sans doute ? Quoiqu'il en soit, Thelos eut à peine le temps de plonger vers l'avant. La flèche rata son dos, se ficha dans le gras de son épaule et le chaos se déchaina.

Thelos senti nettement un corps étranger lui traverser l'épaule, quasi instantanément suivi d'une douleur vive qui irradiait de la zone touchée. Allongé dans la boue, a l'abri grâce a la colline, il poussa un grognement de douleur, brisa la pointe de la flèche d'un coup sec et dut se faire violence pour ne pas arracher le trait de son corps. Il savait que ça allait clairement l'handicaper pendant le combat, pourtant, c'était beaucoup moins grave de devoir manier son sabre à une main que d'avoir une telle hémorragie. Au moins le bois allait contenir le sang qui sortait lentement en flots épais.

De là où il était, il pouvait voir les soldats et les ouvriers paniquer et se mettre à l'abri derrière les charriots qui transportaient le matériel tandis que derrière lui, les cris de guerre de plusieurs hommes retentissaient. Surement leurs assaillants. Oceanos lui plongea dans la rivière pour rejoindre son maitre tandis que Talos flottait au dessus du sol rapidement, son corps d'acier totalement insensible à d'éventuels flèches humaines. Nyx et Zeus furent toutefois les plus rapidement près de leur maitre, la félidée couchée sur le sol, le poil hérissé, tandis que le gros gorille essayait en vain de se mettre à couvert lui aussi. Avec sa masse et sa couleur jaune vif, ça aurait pu être comique si jamais ils n'étaient pas en train de se prendre une attaque venue de nulle part sur le coin de la figure. Et cette fois, ce n'était clairement pas un de ses exercices d'école. Alors après une longue inspiration et avoir dégainé son katana, Thelos se redressa d'un bond.

- Zeus, Mur Lumière!

Alors qu'il embrassait l'ensemble de la scène du regard, son Pokemon se redressa à son tour, paumes tendues vers l'avant. Un mur d'énergie se matérialisa devant eux, sur lequel vint s'écraser une nouvelle flèche, sans faire plus de dégâts. Et au moins ainsi, il pouvait voir ce qu'il était en train de se passer. Sept hommes, dépenaillés et brandissant des armes diverses, hétéroclites, leur fonçaient dessus tandis qu'un huitième était occupé à essayer de bander un arc pour tirer à nouveau. Pour couronner le tout, un énorme Crocorible et deux Escroco étaient quasiment sur eux. Réagissant au quart de tour, le Stratège haussa la voix et détala vers l'arrière pour rejoindre au plus vite le reste de ses Pokemon.

- En arrière, dépechez vous ! On se déploie autour du chariots. Zeus, monte dedans et contente toi de couvrir les autres avec des Mur Lumière.

D'un geste fluide et rapide, il piocha deux Pokeball parmi celles à sa ceinture et les ouvrit sèchement pour faire apparaître Pallas et Briarée autour de lui. Les deux Pokemon virent rapidement pourquoi ils avaient été appelés au combat, tandis qu'Oceanos émergeaient de l'eau et que Talos finissait de léviter au dessus du chariot, à côté de Zeus. Prenant une dernière inspiration avant de se lancer, le Stratège dit tout bas, pour lui bien plus que pour les autres :

- Ok, en piste.

La bataille faisait rage. Le mercenaire, devenu souffle écarlate, fit glisser le cimeterre ébréché de son opposant le long de l'acier trempé de son katana, et se fendit pour lui asséner un méchant coup de coude en plein dans le nez. Dans un craquement sec et un jaillisement de sang, l'homme en face de lui recula, étourdi, et porta naturellement sa main à son visage. Presque avec surprise. Immédiatement, Thelos avança encore d'un pas, saisit son katana à deux mains et le fit virevolter dans une tranche sèche et propre qui ouvrit les chairs fragiles de la gorge. Un deuxième jaillissement de sang, intense et bref. Puis l'homme s'effondra.

Soudainnement, un violent déplacement d'air dans le dos du mercenaire suivit d'un violent impact le fit se retourner, les yeux écarquillés par une telle brutalité si près de lui. Un des bandits se tenait derrière lui, au sol, le corps empalé grossièrement par un énorme pieu en bois, de ceux dont ils devaient se servir pour ériger le barrage. Son regard se porta sur le sommet du chariot, où Zeus tronait. Deux flèches, plantées dans sa jambe et son poignet, dépassaient de son épaisse fourrure mais bien plus étaient arrêtées net au sol, devant le mur violet et miroitant érigé autour de lui. Le colosse saisit donc un deuxième pieu et recommença à bombarder le camp adverse en poussant des rugissements bestiaux. Rapidement, entre ça et les Pokemon du Stratège qui luttaient côte à côte aux côtés des gardes de Sigma, le chaos commença à se répandre parmi la troupe déjà bien désorganisée de base. Leur effet de surprise avait marché, clairement, et plusieurs des membres de leur petit convoi gisaient au sol dans des grimaces exagérées par la violence de leur mort. Mais en contrepartie, la réorganisation rapide menée par le Stratège qui avait commandé les troupes, en faisant tampon une bonne minute avec ses Pokemon, avait su changer la donne et refaire basculer l'avantage dans leur camp. Maintenant, les hommes de Kappa ou en tous cas ce qui y ressemblait fortement étaient sous la pression des soldats et des Pokemon de Thelos. Les leurs avaient été vaincus par Nyx, Oceanos et Talos, qui maintenant se reposaient derrière le chariot. Océanos était le plus blessé mais comparé aux crocodiles morts, ce n'était pas grand-chose.

Finalement, la détermination se brisa comme souvent. Un mort de plus, et puis ils commencèrent à fuir, tous, sans le moindre ordre. Sans attendre, le mercenaire tendit le bras dans une direction, et tourna légèrement la tête pour transmettre ses ordres.

- Vous et vous, sur la gauche ! Vous deux, sur la droite ! Coupez leur la route, je ne veux pas qu'ils s'échappent!

Puis lui même s'engagea à la poursuite du dernier, Pallas sur ses talons. Celui-là, il était pour lui.

Thelos plia le genou pour observer de plus près l’homme étendu à ses pieds. Son souffle était encore un peu court, mais bien plus de la défense frénétique et de la poursuite qui avait suivie que du combat engagé auprès de cet homme. Le bandit en question n’était pas un enfant de coeur, et il compensait la virtuosité au sabre du mercenaire Xinois par une agressivité et une force plus sauvages. Malgré ça, contre un ex-Stratège et un Mangriff de mauvaise humeur, l’homme s’était rapidement trouvé débordé et en quelques passes, le duo avait réglé son affaire à leur agresseur. Deux trous alignés d’où coulait lentement un sang épais perçaient sa poitrine de part en part. Pallas, lui, essuyait ses griffes avec indifférence.

Mais son maître en revanche était plus curieux. Au loin, malgré le bruit de la rivière et de la pluie, il entendait encore quelques cris éloignés, signes que la traque des bandits devenus fuyards prenait un peu plus de temps. Malgré ça, Thelos choisit d’ignorer ces appels de douleur et de colère pour se concentrer sur ce qu’il avait sous la main. Un équipement hétéroclite, une odeur corporelle plus que significative dans un pays où les gens cultivaient une image de marque même pour le plus pauvre des citoyens, un teint bien plus halé… Tout en lui désignait le bandit de grand chemin, dans sa forme la plus basique.

Avec un petit haussement d’épaules, Thelos s’en détacha, fouilla rapidement les poches en quête d’un objet de valeur quelconque, puis s’attarda sur l’arme. Un couteau large mal dégrossi. Le Mercenaire le prit, joua un peu avec, puis haussa de nouveau les épaules en le lançant avec négligence en arrière. Du pied, il poussa l’homme dans la rivière puis revint vers le chariot, rengainant son sabre dans un chuintement feutré. Et repu.

Alors qu’il revenait sur la scène du combat, les bruits de lutte s’étaient tus. Les présents étaient occupés à se soigner les un les autres, panser leurs blessures, avec bien plus de peur et de stupéfaction que de mal. Évidemment, constata Thelos avec une petite amertume que personne ne s’occupait de ses Pokemon ou de lui même. Même si il était un étranger choisi par leur Grande Argentière pour ses compétences, il restait un étranger.

C’est sans doute cette amertume qui le poussa à ignorer les quelques soldats en cercle autour de quelque chose, au sol. Le guerrier de Xi, dans son coin, arracha sèchement la hampe de la flèche et entreprit de bander rapidement son épaule, parlant à voix basse avec ses Pokemon pour s’assurer qu’ils allaient bien. Évidemment, ils étaient blessés, mais leur métabolisme bien plus solide que le sien n’en faisait pas grand cas.

- On devrait pouvoir tenir jusqu’à Sigma sans trop de soucis… On va se relayer sur le chemin.

Puis il se redressa, et se tourna vers les gardes, alors que d’autres revenaient, portant eux aussi le corps d’un de leurs amis. Les pieds devant. Thelos analysa froidement la raison de sa mort, puis détourna la tête.

- Ok tout le monde, les morts et les blessés dans le chariot, les autres à pied. On se remet en route vers Sigma et...

- Ferme ta sale gueule, Thelos !

Pendant quelques secondes, le Mercenaire se figea, abasourdi. Il regardait sans comprendre, fixant l’homme qui venait de parler sans que son esprit pourtant spécialement formé à l’analyse rapide ne puisse accrocher sur ce qui venait de se passer. Paradoxalement, c’était justement cette même formation qui paralysait complètement Thelos sous le choc d’entendre un subordonné cracher autant de mépris au visage de son supérieur. Là d’où il venait, ce genre de geste était tout bonnement impensable. Ce n’était tout simplement pas quelque chose qui pouvait arriver, même au pire d’une situation désespérée.

Du moins, c’est ce qui s’assurait entre officiers.

C’est le grognement de Pallas qui tira le Stratège de ses pensées. Ce dernier s’ébroua un peu et tendit la main vers son Pokemon pour lui faire signe de ne pas intervenir, avant de revenir plus froidement à la situation. Ses yeux froids et calmes captèrent l’attitude des autres soldats, évaluant le soutien ou la désapprobation muets qu’ils transpiraient de par leur position, leurs regards ou leur tension. Puis il s’approcha.

- Tout ça c’est de te faute. On aurait pas du confier notre groupe à un putain de mercenaire, si t’avais été foutu de les voir venir avant, Aka…

Le nez du soldat céda avec un craquement désagréable sous le poing de Thelos. Il ne tomba pas dans la rivière en crue grâce au rattrapage d’urgence de deux de ses collègues, qui en profitaient d’ailleurs pour retenir le vindicatif qui semblait parti pour avoir une féroce envie de répliquer. Au moins, songea le Xinois, les autres semblaient un peu plus conscient que cette tête brulée des conséquences encourues pour avoir levé la main sur son commandant.

- Voilà comment ça va se passer.

Sa voix était tout aussi glaciale que son regard, dénuée d’intonation et du mépris que pourtant son manque d’émotions clamait haut et fort.

- Ceux qui sont capables de se rendre compte que l’armée c’est pas la colonie de vacance et que moins boire de bière et réagir plus vite quand je donne des ordres peut augmenter vos chances de survie ; vous venez avec moi la tête sur les épaules. Les autres, vous venez avec moi assommé et ligotés, et ensuite vous expliquerez à notre employeuse commune votre problème. Des questions ?

Personne ne dit rien. La plupart baissèrent les yeux ou eurent la délicatesse d’afficher un air gêné, et quelques autres se contentèrent d’un regard de colère et de haine. Mais globalement, tout le monde apparaissait en état d’obéir. Thelos n’en demandait pas moins, et sur un petit signe de tête, il leur fit signe d’exécuter ses consignes.

Néanmoins, alors que tout le monde était au travail, le front du mercenaire se barra d’un pli soucieux. A sa connaissance, c’était la première fois qu’il y avait des morts depuis plusieurs mois. Ca expliquait sans doute une partie de l’échauffourée entre ce soldat et lui, ça et son origine étrangère, mais il se promit d’aller en toucher deux mots à son employeuse sitôt rentré à la Cité. Son instinct lui soufflait que quelque chose ne tournait pas rond dans l’histoire.

Thelos passa l’arche de la caserne, et seulement à ce moment là, s’autorisa à fermer les yeux quelques secondes pour laisser ses épaules se détendre. Pendant un instant volé qui n’appartiendrait qu’à lui, aussi bref qu’un battement de coeur, le jeune homme ignora les deux morts qu’ils transportaient, la fatigue, le froid et l’ambiance morose de leur convoi.

Malheureusement, toutes les bonnes choses avaient une fin. Son visage se recomposa en un masque neutre et inexpressif, alors qu’il faisait un petit signe de main vers les soldats.

- Vous, vous et vous ; amenez les deux corps à l’infirmerie. Les blessés, vous les accompagnez. Vous, vous allez me chercher la première dizaine de personnes et quelques Pokemon pour débarrasser la charrette.

Sans attendre de savoir si ses ordres allaient être suivis ou pas, Thelos tourna les talons et grimpa quatre à quatre les marches de la caserne. Le temps qu’ils rentrent à Sigma, le jeune homme avait compris ce qui clochait. Il fallait qu’il en avertisse la seule personne qui pouvait peut-être limiter les dégats de la journée tant qu’il était encore temps. Son épaule le faisait souffrir assez désagréablement, mais chaque minute perdue verrait peut-être un autre groupe comme le sien tomber sur les même embuscades. Et s’en sortir avec beaucoup moins de chance qu’eux. Il fallait faire vite.

Cinq minutes plus tard, le guerrier, souillé de pluie, de sang et de boue ouvrit à la volée la porte du palais de la Grande Argentière. Les gardes à l’entrée l’avaient laissé passer puisqu’il était techniquement d’un grade plus élevé qu’eux et qu’il avait la tête de quelqu’un sachant ce qu’il faisait. Le secrétaire de mademoiselle fut un peu plus réactif, mais le temps qu’il lève les yeux de sa paperasse, comprenne, se lève et tende la main ; le mercenaire était déjà loin.

I déboula dans le bureau de Lacie, assez pour coller la frousse aux deux personnes avec qui elle discutait. Les hommes, d’un age certain, regardèrent Thelos comme si ils avaient vus un fantôme. Un fantôme pas propre, en plus. Le pire genre de fantômes, chez les gens de Sigma. Les sourcils de Lacie se froncèrent, elle ouvrit la bouche pour protester, mais le Mercenaire n’était pas à une entorse de la politesse près.

- Je dois vous parler. Maintenant.

Lacie ne fut pas très longue à se décider. Jugeant soit que c’était assez important pour justifier ce dérangement et les traces de boue sur son tapis hors de prix soit qu’elle pourrait passer ses nerfs sur l’imprudent dans le cas contraire, elle renvoya avec quelques formules de politesse désolées et souriantes les deux hommes, qui furent bien obligé de disposer, non sans contourner soigneusement l’homme d’armes qui se tenait dans la pièce.

Leur départ laissa une Lacie qui était tout sauf souriante. Elle se leva, fit le tour de son bureau et s’assit contre le meuble de bois massif, croisant les bras sur sa poitrine. Sans plus un mot, sans plus un geste, son esprit totalement focalisé sur son interlocuteur, avec une concentration palpable. Thelos s’apprêtait à parler, mais se ravisa. Il préféra s’avancer un peu, réunir quelques secondes de concentration, et ensuite seulement se mettre à raconter.

- Vous êtes sûr de ce que vous dites ?

Pour toute réponse, Thelos hocha légèrement la tête, le visage grave. Ça lui déplaisait autant à dire que Lacie à l’entendre, mais oui, il était à peu près sûr de lui. Pour faire bonne mesure néanmoins, le Stratège reprit point par point les éléments de son explication en un court résumé, dépliant au fur et à mesure qu’il soulignait chaque argument déniché au sein du tableau qu’ils venaient de vivre, son équipe et lui.

- On sait qu’ils n’avaient aucun moyen de transporter des marchandises, donc qu’ils ne prévoyaient même pas d’attaquer un convoi de marchands. Qu’ils nous ont attaqué alors qu’on était visiblement une patrouille régulière et armée, sans rien d’autre à piller que du bois taillé en pointe. Et en plus, ils avaient avec eux une sacrée force de frappe, niveau Pokemons. Non, y’a pas vraiment de doutes possibles, pour moi. Le jeune homme secoua la tête et enchaîna, de l’air de celui qui n’aimait pas particulièrement ce qu’il disait. Ce n’était pas du tout par hasard. Les types étaient là dans l’objectif de casser du soldat…et à mon avis c’est pas le seul groupe qui a été envoyé ici.

Ses dernières paroles résonnèrent un peu lugubrement dans le silence qui s’était installé dans la pièce. On voyait presque la concentration de Lacie épaissir l’air tant elle réfléchissait à ce qu’elle devait faire. Thelos, lui, se contentait d’attendre sans un mot. Il avait fait sa part du travail en délivrant l’information et, même si il était sans doute en excellente position pour pouvoir prodiguer des conseils si on le lui demandait, il n’oubliait en rien que non seulement il n’était pas à Xi, ici, mais qu’en plus il n’avait officiellement plus le grade de Stratège suite à son exil. Alors il se contenta d’attendre, et de laisser son employeuse – et non sa supérieure ; réfléchir.

Finalement, Lacie se rassit à son bureau. Sans un mot, elle griffonna quatre messages, à la va-vite ; ce genre de missive très large et peu longue qu’on roulait ensuite. Avec la même patience tranquille et stoïque, Thelos attendit.

- Vous allez donner ça en urgence au maitre des oiseaux. Je veux que ça parte tout de suite par nos Roucoups. Je ne peux rien décider de plus pour le moment, c’est à ma sœur de gérer l’armée, mais… Merci, Thelos.

Un petit sourire discret fleurit sur le visage du Mercenaire, qui prit les missives avant d’incliner légèrement le buste. Il tourna les talons et reparti rapidement, avec un seule question en tête qui, pourtant, n’avait pas de réponse. Etait ce le début d’une guerre contre Kappa ? Et si oui…

Quel rôle allait il jouer dans tout ça?